Ces dernières années, les résidences étudiantes privées tendent à se multiplier dans de nombreuses villes italiennes et européennes1. Doit-on y voir une réponse du marché à de nouvelles formes d’habiter chez les étudiants et les populations mobiles (qui se retrouvent dans d’autres villes du programme Vilmouv), ou l’expression de nouvelles formes d’investissement immobilier ? Ce billet tente de répondre à la question en se concentrant sur l’une de ces nouvelles offres privées : le « student hotel », qui a récemment été importée à Turin.

Vous avez dit student hotels ?

Comme la terminologie le laisse entendre, les student hotels – contraction de logement étudiant et de service hôtelier – désignent une offre de résidences étudiantes privées dotées de services augmentés par rapport aux résidences universitaires habituelles. Proposés par de multiples opérateurs, ces résidences d’un nouveau type partagent des caractéristiques communes. Les logements sont individuels ou à deux lits (pour le marché italien), équipés et fournis de linge et accompagnés d’un ensemble de services (notamment de nettoyage) et différentes aménités. On y trouve des salles de détente (généralement équipée d’une télévision, parfois d’un vidéo projecteur, très souvent d’un babyfoot et d’assises confortables), une buanderie, des salles de travail et de réunions. De nombreux student hotels disposent d’une salle de musculation et parfois d’équipements sportifs qui peuvent être loués à des usagers extérieurs sur certains créneaux.

Figure 1 : Écran plat, lit double et rideaux assortis : une chambre aux allures d’hôtel

(Photographie de Margot Delon, octobre 2022, Turin)

Figure 2 : Espace sportif interne à la résidence

(Photographie d’Hélène Dang Vu, octobre 2022, Turin)

Mais plus encore, ce sont les standings et niveaux de prestation qui distinguent l’offre student hotel de la résidence universitaire : la différence se mesure dans les matériaux, les couleurs, le mobilier utilisés, et dans les prestations liées à l’accueil.

Figure 3 : Faire les chambres : la propreté au quotidien

(Photographie de Margot Delon, octobre 2022, Turin)

Figure 4 : Pouf, billard et verrière : un hall sur cour au design contemporain

(Photographie d’Hélène Dang Vu, octobre 2022, Turin)

Une partie du parc de logements étudiants est destinée à l’accueil d’étudiants boursiers ou à des locations conventionnées (60 % pour les résidences publiques, 20 % pour les résidences privées – voir la notice Turin, ville universitaire). Appelées “collèges de mérite”, ces résidences présentent des niveaux de prestation et de tarifs très variables : des logements complètement pris en charge par le système social (gestion EDISU), des chambres aux loyers encadrés qui varient entre 420 et 650€ par mois et d’autres non conventionnées à plus de 1000€ par mois. Ces chambres sont aussi les plus luxueuses : la prestation s’apparente à celle de l’hôtellerie. En comparaison, une chambre individuelle en colocation sur le marché privé des quartiers étudiants turinois coûte environ 350 € et un peu plus pour un studio.

Les étudiants boursiers fuorisede (avec une résidence hors de la région) occupent donc partiellement ce parc de logements mais selon les acteurs et experts locaux que nous avons interviewés, aucune vérification n’est faite sur le respect de cette répartition qui justifie pourtant le cofinancement public des résidences. Quant aux logements non conventionnés, le gestionnaire peut y appliquer la grille tarifaire qu’il souhaite et potentiellement louer une partie, en chambres d’hôtel. Présentées comme une offre destinée à l’accueil des familles des étudiants en visite, ces chambres sont de fait, réservables sur des plateformes d’hôtellerie généralistes.

Qui sont alors réellement les locataires de ces logements ? Il n’a pas été possible d’obtenir les données pour répondre à cette question. Beaucoup disent que cette offre s’adresse aux étudiants étrangers prêts à louer plus cher que le marché local, et ce d’autant qu’ils n’y ont pas ou difficilement accès depuis leurs pays d’origine. Les gestionnaires interrogés affirment au contraire loger de nombreux étudiants italiens fuorisede, souvent en première année d’études, pour qui l’accès au marché de location local est tout autant difficile et qui recherchent (ou leurs parents) l’assurance d’un logement sain dans un environnement sûr. Les gestionnaires rencontrés insistent beaucoup sur leur proximité avec les étudiants des résidences : « on les connaît personnellement », « nous étions avec eux pendant la crise covid », « on les accompagne pour réussir ». Des services de soutien scolaire, parfois très poussés, peuvent être proposés. Mais l’offre de ces student hotels ne répond que partiellement à la demande de logements conventionnés pour étudiants boursiers puisqu’une partie de l’offre ne leur est pas destinée. Ce n’est d’ailleurs peut-être pas tant une dérive du système qu’une nouvelle péréquation introduite par le législateur pour financer le logement étudiant : permettre aux opérateurs de réaliser des marges commerciales sur une partie de l’offre pour qu’ils acceptent de produire une part du logement conventionné… Dérive ou exemple d’un nouveau mode de financement des politiques publiques par les marges consenties aux opérateurs privés ?

Pour comprendre qui « se cache » derrière les student hotels, il faut bien distinguer les différentes fonctions immobilières et notamment celles qui relèvent du montage opérationnel (le promoteur), de la gestion immobilière (le propriétaire) et de l’usage du produit immobilier (le gestionnaire). Car ces trois grandes fonctions ne sont pas toujours assurées par un même opérateur. Deux grandes situations ont ainsi été identifiées. L’opération intégrée : dans cette configuration, l’opérateur est tout à la fois investisseur, promoteur, propriétaire et gestionnaire de l’ouvrage immobilier. C’est le cas de l’opération dans le quartier d’Aurora : l’entreprise hollandaise TSH construit et gère une résidence dont il est propriétaire. La deuxième situation est l’opération séquencée : dans cette configuration, le gestionnaire n’est pas propriétaire des murs mais locataire d’un bail commercial emphytéotique. Le propriétaire est parfois l’université, parfois l’EDISU, parfois une foncière privée. Le propriétaire a pu orchestrer la promotion de l’ouvrage en tant que maître d’ouvrage immobilier – c’est le cas souvent des opérations réalisées par l’université sur son propre foncier. Mais parfois c’est un acteur tiers qui assure cette fonction d’investissement et de promotion, souvent dans le cas d’une opération immobilière complexe – c’est le cas de l’opération immobilière réalisée dans un site anciennement industriel du quartier Barriera di Milano.

Aujourd’hui les opérations ont plutôt tendance à être montées en partenariats mixtes entre acteurs publics (ou à visée sociale) et gestionnaires privés. Ces montages sont considérés comme des engagements gagnants-gagnants car ils permettent le partage des coûts et investissements. Les partenariats publics privés permettent aux uns d’accroître plus rapidement l’offre de logements et aux autres, d’élargir leurs portefeuilles d’activités et leurs chiffres d’affaires. Enfin ce modèle suppose l’existence de fonds immobiliers privés spécialisés, soit de nouveaux types de propriétaires et foncières de résidences universitaires dont la logique est avant tout celle de l’optimisation d’actifs immobiliers.

Convergence de marchés pour des usagers de passage…

Et le coup d’après ? Les gestionnaires rencontrés semblent s’y préparer en considérant d’autres publics de passage, au premier chef desquels, les touristes mais aussi les travailleurs mobiles, que l’on retrouvera sans doute dans d’autres ateliers-villes du programme Vilmouv. Les gestionnaires étudiés à Turin proposent déjà tous, en plus des locations étudiantes de moyennes durées (11 mois), une offre de services et de locations d’espaces de très courtes durées (de quelques heures à quelques jours).
Le récent changement de nom du leader hollandais The Student Hotel en The Social Hub (octobre 2022), traduit ce glissement vers un marché moins explicitement étudiant. Les clips publicitaires qui sont diffusés sur le nouveau site internet s’apparentent à ceux des nouvelles générations d’auberges de jeunesse. La nouvelle auberge de jeunesse de Turin a d’ailleurs été citée comme référence par une des gestionnaires rencontrés à Turin.
La référence est explicite car c’est une trajectoire possible pour le gestionnaire de student hotel rencontré pendant l’enquête, la société Camplus. Cette entreprise italienne s’est développée d’abord à Bologne puis dans de nombreuses villes universitaires. Elle a donc pour cœur de métier le logement étudiant. Son nom annonce la promesse d’une expérience de vie étudiante augmentée. Pourtant l’entreprise développe de plus en plus son offre hôtelière – au départ pour les familles des étudiants en visite ; aujourd’hui pour tout public – comme la location d’espaces de séminaires, de salles de formations, de services de restaurations et autres aménités (notamment sportives) des résidences. Preuve de ce glissement, en 2022, elle a ouvert son premier hôtel à Rome : une offre classique d’hôtellerie. Et il est clair dans l’esprit d’une de ses agents développeurs, qu’il faut anticiper la mutation de l’offre, en fluidifiant au maximum les usages des actifs immobiliers en gestion. Aujourd’hui l’entreprise s’adresse à un public très largement estudiantin, demain, il pourrait être celui d’autres types de résidents temporaires : très certainement des touristes de moyennes et courtes durées, mais aussi peut-être des travailleurs internationaux et des co-workers ultramobiles. Pour permettre le coup d’après, le gestionnaire qui aménage les résidences, favorise des design d’espaces qui autorisent des usages hybrides et plus globalement, encourage une production immobilière modulable, facile à reconvertir – une construction pratiquement en blanc pour une gestion elle aussi en blanc2. De l’immobilier adaptable pour des usagers mobiles, voilà le « coup » à jouer pour des opérateurs qui cherchent à se développer en minimisant les risques. Pour Turin, qui perd des habitants permanents, ces populations de passage se retrouvent au cœur des politiques d’attractivité, qu’il s’agira de questionner dans les autres villes du programme Vilmouv.

Construire et même peut-être gérer en quasi blanc, telle semble bien, au terme de cette première étape de l’enquête, la stratégie immobilière adoptée tant par les opérateurs privés, qui privilégient un produit le plus fluide possible, que par la commune de Turin, qui souhaite remplir les vides laissés par la désindustrialisation. Au fond, peu importe que ces constructions ne répondent pas prioritairement à la demande des étudiants contraints financièrement. Peu importe également que ces produits immobiliers soient sans doute une nouvelle bulle alimentée par des financements publics. Peu importe finalement si Turin ne soit qu’une ville de passage, tant qu’aux vides succèdent des flux, financiers et de populations désirables.

Figure 5 : Le chantier de TSH : student hotel en devenir

(Photographie de Magda Bolzoni, octobre 2022, Turin)

1 Périsse Mathieu, Abdelilah Alexander (2022), « La finance se rue sur le business des résidences étudiantes », Mediapart, 14 décembre
2 Dans le cadre d’opérations immobilières, on parle de construction “en blanc” lorsque la commercialisation arrive dans un second temps. Sur ce principe, nous proposons l’expression d’une gestion en blanc pour parler de l’engagement d’un gestionnaire à gérer « en blanc », c’est-à-dire quel que soit le type d’usages.

AUTEURS

DATE

Mai 2023

CATÉGORIE

Turin

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